14 septembre 2011

Ce que veulent les Francophones

Ou ma petite pierre à l'édifice de la compréhension mutuelle en Belgique.
Deze artikel is ook beschikbaar in het Nederlands.
Als mijn Nederlands niet goed genoeg is, het vertaaling was door Sarah gedaan. Veel bedankt Sarah!
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Bonjour à tous, 

Tout d'abord, un préambule, parce que je m’attaque à un gros morceau.

Je ne prétends pas détenir la vérité, loin de là. Je vais tenter de vous expliquer ce que je perçois de ce que les Francophones comprennent et veulent.

Alors, non, cher Xtophe et tous les autres, je n’ai pas fait d’étude scientifique d’opinion. Non, cher Miguel, je ne suis pas un échantillon représentatif. Mais en tant qu’observateur assez averti je vois se dégager des tendances. Des choses sur lesquelles on peut s’accorder sans trop de peine. Tout le monde ne se retrouvera pas dans mes propos.

Je vais utiliser les termes « vous » et « nous » ; «vous», les Flamands et «nous», les Francophones. Je sais que ces groupes ne sont pas homogènes.
Je regrette aussi cette dualité entre ces deux «groupes» qu’on oppose. Mais nous en sommes malheureusement là. Je tente de traduire une perception — la mienne — et je vais me concentrer sur les domaines où je la pense pertinente. Et je ne suis le porte-étendard de personne. 

Je commencerai par le «besoin francophone exprimé». Une notion que l’on reprend sous un vocable difficile à faire passer :

« Demandeurs de Rien »

Cette formule est très mal comprise de votre côté de ce qui ressemble de plus en plus une frontière entre États.

Elle évoque pour vous le refus des réformes. Pas pour nous.

Ce qu'elle signifie pour nous c'est que l'homme de la rue en Wallonie n'en a rien à caler du type de nos institutions ou de comment s’appellent ses diverses composantes. On s’en fiche.

Si la classe politique flamande veut donner tel nom à tel truc, ou changer l’organisation de telle partie du gouvernement… we-don't-care.
Nous voulons juste un appareil qui fonctionne et, si possible, l'améliorer un peu. Et nous voulons dépolitiser aussi, parce que oui, « y’a de l’abus »; à ce sujet on est d'accord avec vous.
Trente ans de parti socialiste au pouvoir, ça laisse des traces ; là c’est plutôt un avis personnel, mais beaucoup seront d’accord. (update: désolé pour mes amis socialistes, que cette phrase embête beaucoup. Elle est là comme rappel du fait que 65% de la wallonie ne vote pas PS; malgré les 35% du PS, des majorités alternatives sont possibles, ce n'est pas une fatalité)

Vous, vous voulez reformer. Et en fait, on serait volontiers partants pour le faire avec vous.

C’est juste que pour vous, réformer, c'est transférer des pouvoirs et séparer nos entités fédérales.
Et là ça va un peu moins bien.

Au nom d'un régionalisme ou nationalisme que nous trouvons du plus mauvais aloi…

…vous rompez l'équilibre.

Pourquoi de mauvais aloi? Parce que le concept de nation est une idée au nom de laquelle on a commis les pires atrocités. Contrairement à ce qui se dit dans une certaine Flandre que d'un air effaré nous voyons s'étendre, aucune nation ne vaut mieux qu'une autre.

Il n'y a pas d'Übermensch. Ni en Flandre ni ailleurs. Il n’y a pas non plus de Wallon fainéant et profiteur.

Le repli sur soi et sur une soi-disant identité monolithique ne mènent à rien. C'est par l'ouverture que l'on progresse. Je rappelle que vous avez du sang celte, germanique, espagnol, anglais, français, viking même… Et que vous parlez une bonne dizaine de néerlandais différents…

Il n’y a pas non plus de méchant Francophone qui tenterait d’empêcher le Flamand de parler Flamand (ou néerlandais). Aucun wallon n’a jamais tenté de limiter vos droits en ce sens. Au contraire, les textes qui protègent les minorités Francophones en Flandre protègent aussi les minorités flamandes en Francophonie belge et c’est très bien ainsi.

Par ailleurs, même si les mythes fondateurs du nationalisme flamand basés sur l’oppression linguistique dans les tranchées ou ailleurs étaient fondés, je vous signale qu’aucun de leurs acteurs n’est plus en vie.

La Flandre ne sera pas plus riche si elle s’affranchit des francophones. «Qui finance qui» est un sujet changeant et cyclique. Longtemps le Boerendond n’aurait pu être financé sans la sidérurgie wallonne. Le port d’Anvers a été financé par le fédéral. Tout comme Zaventem. Les pensions rétabliront l’équilibre pour autant qu’il y ait effectivement des transferts Nord-Sud. Le sujet devient vite complexe, surtout quand on mesure l’apport de PIB de Bruxelles vers la Flandre.


Démocratie?


Pour réaliser ce que vous voyez comme une émancipation et que nous percevons comme un repli identitaire égoïste, vous vous distancez des idéaux démocratiques.

La démocratie ce n'est pas la majorité qui impose sa force pour réduire les droits de la minorité.

Ce n’est pas une partie du peuple qui opprime une autre partie du peuple. C’est un corps représentatif constitué qui veille au bien de tous, au détriment de personne.

Ce n’est pas non plus voter pour des représentants qui ont plus que des liens de sympathie avec une extrême droite liberticide.

Or, quelles sont les méthodes de l’émancipation politique flamande ?

On supprime les recensements linguistiques, on dématérialise l’existence d’une population.

On annexe des régions francophones (on n'a pas oublié Fourons).

On veut supprimer la possibilité pour un francophone établi dans une commune depuis toujours de s’adresser à la justice dans sa langue.

On veut l’empêcher d’acheter une maison. On veut l’assimiler, faisant fi de sa différence.

On promet d’asphyxier Bruxelles, de l’étouffer par la fiscalité.

Des méthodes d’un autre temps; qui font froid dans le dos.

BHV

Et c’est exactement ce qu’il se passe pour BHV. Ce fameux arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvoorde.
Sous prétexte d’être « chez soi » la Flandre touche à ce précieux équilibre, ce qui explique une certaine crispation francophone.

Voyez plutôt :
Un jour les Flamands ont réclamé une frontière linguistique pour empêcher que le français s’étende en une sombre tâche d’huile. Les Francophones ont accepté, comme vous le savez.
Mais aux alentours de Bruxelles se trouvaient des communes avec de très forts pourcentages de Francophones. Parfois une majorité de francophones.

Pour tenir compte de cette réalité nos édiles ont créé BHV, un arrondissement mixte avec des droits mixtes. Ils ont aussi inventé les communes à facilités.

Aujourd’hui vous voudriez supprimer la mixité de cet arrondissement. Ainsi que les facilités.
Et que recevrions-nous en échange ? Rien. Peanuts.
Comment protégerons-nous ces cent cinquante mille francophones pour leur permettre de s'exprimer dans leur langue dans la vie publique ou même pour tout simplement jouer au tennis ?
Ha ben non, qu’ils deviennent Flamands.
Est-ce là réellement une solution démocrate ?
Pour un Francophone, toucher à BHV c’est toucher à la frontière et cela doit aller dans les deux sens.

Evoluer

Nous comprenons assez bien par ailleurs le malaise qui peut être ressenti en périphérie. Par moments on peut se sentir dépassé quand le monde évolue trop. Nous avons tous eu peur un jour ou l’autre d’un « plombier polonais ». l’Europe s’étend et nous ne nous y sentons pas toujours à l’aise.
Ce malaise n’en est pas plus légitime pour autant. Du moins, en termes d’utilisation politique.

En stigmatisant les francophones du Rand, vous vous opposez à l'évolution naturelle de la métropole qu'est notre capitale fédérale commune.

Je vais vous apprendre quelque chose: il n'y a pas de plan de francisation de la périphérie.
Aucun incitant financier ni idéologique à aller s'installer en Flandre. Au contraire il y a plein de freins. Des freins à l'accès à la propriété, à l'emploi de sa langue, à la participation aux activités culturelles, à l’accès à la justice, aux soins hospitaliers, à l’éducation, aux services administratifs...

Mais les gens viennent quand même. Juste pour vous embêter? Pour franciser coûte que coûte la périphérie?

Non ! Ils ne viennent pas par plaisir ni parce que vous êtes des voisins accueillants mais parce qu’ils n'ont pas le choix.

Ils sont poussés là par la pression sur les prix de l'immobilier bruxellois et par la nécessité d'habiter près de leur lieu de travail.

Et ce faisant ils ont le droit de conserver leur identité linguistique et culturelle.
Et rappelez-vous qu’ils achètent leur terrain à des Flamands, qu’ils payent. Ils louent leurs appartements à des Flamands, qu’ils payent. Ils font appel à des agences immobilières flamandes, qu’ils payent.

Cette diversité est bénéfique pour tous ! Son rapport financier aussi.

Les élèves Flamands avaient l’opportunité, sans perdre leur identité, de pouvoir parler nativement une langue internationale. 
Au lieu de cela, l’apprentissage du Français est en recul, une perte de bilinguisme qui pénalise vos enfants, pas nous. Et tout cela à cause d’un mauvais combat.

Alors oui il y a des stéréotypes ci-dessus. Des imprécisions, sûrement, des erreurs également. Mais quand je fais lire lire mon brouillon autour de moi, je note que l’assentiment est largement majoritaire quasi unanime sauf pour des détails en fait.

Vous me direz, «mais alors, que veulent les francophones ?»

Oh, trois fois rien. Regardez :

- un État solidaire

- où l’on ne brime personne

- où chacun peut s’exprimer dans sa langue et habiter où il veut

- où l’on accueille sans arrière pensée

- où l’on n'a pas peur de l'autre

- où l’on promeut sa culture positivement et pas en interdisant celle des autres

Un État dynamique et positif, où l’on passe plus de temps à développer les savoirs et les opportunités qu’à se tirer dessus à coups de circulaires et de Conseil d’État.

Un État où chacun assume son identité sans complexe, ni d’infériorité ni de supériorité.

Parce que le moment est grave.

Si la Flandre persiste dans l'établissement de barrières et de frontières, les Francophones devront jouer au même jeu stupide. Pour se protéger.

Parce qu’on ne va pas laisser 150.000 francophones derrière nous dans une région qui va les brimer. Une «nation» n’abandonne pas ses ressortissants. Ils sont Belges aujourd’hui. Avant qu’ils ne le soient plus demain, c’est en tant que Belges que nous chercherons à les protéger.

Parce que dans cette optique, l’élargissement de Bruxelles est pour nous la seule garantie valable de respect de nos droits.

Parce que si vous voulez limiter les droits des Francophones sans cette contrepartie il n’y aura pas d’autre choix que de scinder le pays.
On va devoir se préparer à la scission.
Elle ne nous fait pas peur.
Ou mieux, elle ne nous fait plus peur.
Et cela c’est grâce aux nationalistes flamands.

Toutes ces années de crise font que de plus en plus de Wallons et de Bruxellois se répètent cette phrase célèbre des couples en difficulté : «Mieux vaut être seul que mal accompagné» 
Et êtes-vous encore vraiment de bonne compagnie ? Voulez-vous l’être ?

Le Wallon est peut-être un bon vivant mais quand on l’opprime il se lève et se bat !

Comme il s’est battu à vos côtés lors de cette fameuse bataille des éperons d’or et depuis 1830. (Si vous croyiez que les éperons d’or était une victoire purement flamande, que cela vous serve à mesurer l’étendue de la propagande nationaliste.)

Comme il se battra encore à vos côtés pour faire de la Belgique un lieu où il fait bon vivre ensemble.

Parce que les défis sont nombreux!

Faire de nos enfants des humains ouverts, accueillants, multilingues, bons, positifs.

Sauver les pensions et l’état social.

Dynamiser nos entreprenariats et relancer la création d’emplois stables via la formation.

Transformer notre modèle politique éclaté en un fédéralisme fédérateur.

Avis aux hommes de bonne volonté !







Hugues


Edit 21/11/11
Pour ceux que ça intéresse lisez aussi : Comment on en est arrivé là: ma Petite histoire du conflit belge.




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Je tiens à remercier mes relecteurs; vos avis et encouragement ont beaucoup pesé dans la parution de ce texte. 

Merci aussi à tous les twittos qui suivent et participent chaque jour aux discussions sur #beGov et jusque #neverGov.
Un merci particulier à Marcel Sel dont l'engagement sans faille et le blog ne sont pas pour rien dans mon effort et pour  avoir corrigé quelques expressions et quelques passages où j'étais moins clair. Merci aussi pour les deux trois idées qu'il a apporté. Marcel tu pourras te moquer de moi la prochaine fois que je dis que tes articles sont trop longs. 

H



Post scriptum: si quelqu'un voit une jolie illu sur l'amitié FR/VL libre de droits je suis preneur. Merci

11 commentaires:

  1. Comme tu as raison mais, de mon expérience sur le terrain, à Bruxelles et en Flandres, les flamands, la majorité de ceux avec qui j'ai échangé sur ce sujet, ne sont plus "capables" d'entendre ces vérités.
    Ils sont désormais convaincus que la Belgique empêche la Flandre d'être un grand pays.
    C'est ainsi et pour moi, il est malheureusement trop tard !
    :-)

    [C'est so dix-neuvième siècle cette idée du "sol sacré" de Flandre, tellement has-been à l'heure où tout fonctionne en réseau ! :-) ].

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  2. Merci Hugues, de l'avoir écrit. Et merci de l'avoir fait aussi clairement.

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  3. En nu hetzelfde in het Nederlands ...

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  4. C'est peu dire que j'ai aimé ce texte! J'aime surtout le rappel de notre non-volonté à ...
    Notre incompréhension devant des revendications qui nous dépassent tant elles nous semblent injustes.

    Dans l'accord sur BHV qui vient de tomber (23h22), je ne comprends pas les implications des décisions. Que vont devenir les 150.000 personnes? Qu'ont-elles perdu?

    Bref, à l'heure où nous avons enfin les moyens et je dirais ... l'intelligence... d'être UN, voilà qu'éclate ce monde en mille tracas! Alors qu'unie l'Europe pourrait vaincre la crise, qu'unie la Belgique pourrait devenir un état florissant, alors qu'unies toutes les personnes de la Terre pourraient mettre fin à tant d'injustices!
    Voilà.
    Avec toi! Merci pour ce texte! Il m'a fait du bien. Cette journée m'a vraiment sonnée!

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  5. Les facilités avaient comme but de donner les francophones le temps de s'adapter a la Flandre et d'apprendre le néerlandais, ce qui aurait été un signe de respect envers les gens qui ont accueili leurs compatriotes francophones. Ce n'est pas la faute des flamands que les francophones ont réfusé de faire ce geste. Si un flamand va habiter dans la partie francophone du pays il parle immédiatement le français parce que c'est tout a fait logique qu'il s'adapte a la région où il vit. Vous avez déja entendu un néerlandophone demander des facilités en Wallonie?
    Il faut rester sérieux quand même. D'ailleurs il y a aussi des tas de francophones qui font l'effort d'apprendre le néerlandais et j'ai beaucoup de respect pour eux.

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  6. Bruxelles à 93% francophone offre bien des facilités aux flamands qui pourtant s'en plaignent encore !
    :-)

    [Dans mon expérience, apprenant le flamand par respect, chaque fois que je l'écorche, je me fais insulter par un flamand. Pas corriger gentiment comme dans d'autres pays et langues (la Pologne par exemple) que j'ai pu cotoyer, mais réellement insulter. Ça donne très peu envie d'insister dans l'effort ! :-) ].

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  7. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  8. Je partage l'avis de Monsieur Poireau. D'avoir vu évoluer la mentalité dans nos régions limitrophes (Tongres, Hasselt, St-Trond). Nous n'y sommes pas les bien venus.. et faire l'effort d'entamer la conversation par quelques mots de néerlandais ne suffit plus. Ils n'en veulent plus de nous. Par le biais des médias bien que vivant depuis toujours à quelques pas de la Flandre je me sens plus proche des Français.. La langue n'est pas tout, la culture de la supériorité d'esprit qu'ils inculquent à leurs enfants ne va rien arranger.. Voyez-vous les Bretons, Les Alsaciens and zo voort monter aux créneaux ? Non, ils sont fières de leur culture de leur histoire sans faire une grosse tête à leurs voisins..

    Quand quelqu'un veut s'isoler envers et contre tout.. il n'y a rien faire qu'à laisser faire..

    We waren broers, nu zijn we buren

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  9. Comprendre nos rivalités ancestrales ? Un jeu d'enfant :o)

    http://jereussis.be/a-raconter-en-voiture-et-ailleurs/pourquoi-les-flamands-et-les-wallons-se-disputent-ils

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  10. Et bien mon cher Hugues, la lecture de cet article et des commentaires me font penser que les carottes semblent plus que cuites. On croirait un vieux couple qui ne supporte plus rien l'un de l'autre. Tout semble être allé trop loin déjà: "tu pues, t'es moche et con, tu me dégoûtes". Tu vois le genre.
    Un divorce ne vaut-il pas mieux qu'un assassinat ?
    Bon je vois ça d'ici (France) alors mon point de vue n'est peut-être pas très muri.

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  11. Lisez aussi cet excellent billet : le francophone de belgique ne vaut rien

    http://dreamsandmoods.blogspot.com/2011/09/le-francophone-ne-vaut-rien.html

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